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Jürg Hassler: engagement et obstination

Auteur

Andreas Furler

Date

16 novembre 2021

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Jürg Hassler

Six films en tant que réalisateur, 17 en tant que monteur, 30 en tant que directeur de la photographie. La 57e édition des Journées de Soleure dédie leur programme spécial « Rencontre » à l’un des professionnels suisse parmi les plus polyvalents du demi-siècle dernier. Le travail de Jürg Hassler reflète non seulement les grands courants du cinéma suisse depuis 1970 mais également des thématiques existentielles, comme l’engagement politique et la recherche d’images vierges, immaculées. Portrait en guise de mise en train.

Le chat, dit-on, a sept vies. Jusqu’ici, l’artiste Jürg Hassler en a eu au moins six. Avant même de commencer dans le cinéma en 1967, le Zurichois né en 1938 avait déjà derrière lui des formations de base en sculpture et photographie, il avait travaillé à Genève comme tailleur de pierres, vécu à Naples durant deux ans comme plasticien et parcouru la moitié de l’Europe comme photoreporter pour le Tages Anzeiger, Die Tat et des journaux du groupe Ringier. Et n’oublions pas les pèlerinages politiques du jeune homme de gauche en Union soviétique, à Prague et en RDA, où, en 1965, il devient le photographe attitré du metteur en scène de théâtre Benno Besson, enfin l’affiliation au Parti du travail, au sein duquel il cofonde la section de jeunesse, mais qui l’exclut au bout de quelques années parce qu’il ne peut approuver l’intervention russe en Tchécoslovaquie.

Voilà pour les brouilles et les expulsions du jeune rebelle Jürg Hassler. Avec son père, un représentant, il se dispute encore alors qu’il est à l’article de la mort, parce que celui-ci a toujours été trop gentil et trop à droite à son goût et que le père de son côté ne supporte pas que son fils ait trouvé depuis longtemps un nouveau père spirituel en la personne du sculpteur Hans Josephsohn. A l’Ecole de photographie de Vevey, Hassler se fait virer parce qu’il se met spontanément en grève pour dénoncer un stage pratique à bâiller d’ennui. Et finalement il est aussi mis à la porte de la Kunstgewerbeschule de Zurich après les cours de cinéma I et II – avec cependant le gros de la classe, dont faisaient aussi partie Markus Imhoof, Luc Yersin, Jacqueline Veuve et Clemens Klopfenstein. Nous étions en 1968 et l’été était chaud.

Dans les émeutes et autour du globe

Quand les manifestations étudiantes de Paris et Berlin gagnent Zurich, le stagiaire Hassler se sent dans son élément. C’en est enfin fini des débats intellectuels sur les grands principes au bar du Kontiki, auxquels il échappait toujours en rejoignant le restaurant Malatesta et les Hell’s Angels. Avec Eduard Winiger, son camarade des cours de cinéma, il filme les manifestations pour un centre autonome de jeunesse devant le centre installé à titre provisoire au Globus, puis les policiers en bras de chemise qui semblent apprendre sur le tas comment on dirige le tuyau d’incendie contre des gens. Elèves de la Kunstgewerbeschule, les documentaristes sont aussi autorisés à suivre les conférences de presse de la police municipale, des apprentis et des rockeurs révoltés fournissent d’autres documents ; quant au commentaire en voix off hésitant, il doit remettre l’ouvrage sur le métier après l’intervention d’amis. En ce qui concerne le montage, Hassler apprend sur la bête comment il est possible d’être efficace grâce au montage, aux intertitres insolents ou à l’image dans l’image. « Krawall » fait sensation aux Journées cinématographiques de Soleure en 1970, le film et son réalisateur partent ensuite en tournée à travers toute la Suisse. La carrière au cinéma de Jürg Hassler semble lancée.

Cependant, Hassler a de nouveau autre chose en tête. A Zurich, il travaille en intérimaire dans une boîte nuit, le Red House, et entame une liaison avec une danseuse. Avec elle, il monte un numéro qui conduit le couple au quatre coins du monde. De retour chez lui après des années, Hassler se souvient de son mentor Hans Josephsohn. Brosser son portrait, voilà à nouveau enfin un projet qui le mobiliserait. Il veut bien continuer de réaliser des films mais dans ces conditions. Sans le moindre technicien, il se rend dans l’atelier du sculpteur avec une caméra, le relie à un micro sans fil, le regarde travailler, l’écoute. Sur la bande son, il confronte son paternel ami avec les exigences de l’esprit du temps qui réclame un art proche du peuple dans la tradition du réalisme socialiste. Mais Josephsohn se moque éperdument de toutes les préconisations venues de l’extérieur et travaille imperturbablement à son langage des formes personnel, fruste, qui devait le rendre célèbre des années plus tard. Après « Josephsohn – Stein des Anstosses » (1977), l’obstination poétique de son idole retentit comme en écho dans l’esprit de Hassler. Au cinéma aussi, il devait être possible de suivre une voie tout aussi indépendante, tout aussi poétique.

Se mettre au service

Avant cela, du travail politique l’attend pourtant au cinéma. Après le portrait de Josephsohn, Hassler coréalise avec les frères Dubini le documentaire « Gösgen. Ein Film über die Volksbewegung gegen Atomkraftwerke » (1978), un film d’intervention d’un genre que le Filmkollektiv de Zurich a déjà expérimenté sur d’autres thématiques. Et lorsque la jeunesse des années 1980 produit « Züri brännt » (1980), sur le mouvement de revendication de l’époque, le soixante-huitard Hassler porte à l’épaule une des nouvelles caméras vidéo et fournit en plus du matériel provenant de son propre film « Krawall ». Aujourd’hui comme hier, dit-il, il ne s’agissait pas de lui mais de rendre service à la cause.

Entre 1983 et 1994, Hassler travaille en outre à quatre occasions, dans différentes fonctions, sur des films du rechercheur politique Richard Dindo. Les grandes étapes de cette collaboration sont « Dani, Michi, Renato und Max » (photographie, 1987), qui reconstitue minutieusement quatre cas de violence policière mortelle contre des jeunes, et « Ernesto Che Guevara – Das bolivianische Tagebuch » (prise de son, 1994). Le film consacré à Guevara retrace la manière dont le porte-drapeau de la révolution cubaine a échoué dans sa tentative de lancer en 1967 un mouvement de guérilla comparable dans la forêt vierge bolivienne. Le film peut être interprété comme la réminiscence mélancolique des espoirs du soixante-huitard désireux de changer le monde dans sa globalité. Sur Guevara, dit Hassler, il lit aujourd’hui encore chaque nouveau livre qui paraît.

Voyages de recherche

Hassler ne se soucie pas seulement d’un autre monde mais aussi d’autres univers visuels. La recherche de langages visuels non conventionnels et de formes narratives alternatives se traduit, à partir de la fin des années 1970, dans toute une série d’articles et de manifestes dans lesquels Hassler vitupère contre le « professionnalisme » sans aspérités des films soutenus par la télévision. Il leur oppose l’inachevé, l’encombrant, les films et formats expérimentaux surprenants, qui créent de nouvelles expériences sensorielles pour l’œil et s’adressent à des sensations inédites à l’intérieur du spectateur.

L’exceptionnelle concrétisation de cette conception c’est le film de soixante minutes « Welche Bilder, kleiner Engel, wandern durch dein Angesicht » de 1986. Tel un randonneur avançant dans un rêve, Hassler y capte la faculté d’inspiration, la joie de vivre et la concentration d’un groupe d’enfants en train de jouer et de faire de la musique – séquences d’un état paradisiaque dont le contrepoint est donné par des prises de vue de la nature au chatoiement énigmatique. En 1986, aux Journées cinématographiques de Soleure, la volte-face apparente du cinéaste politique Hassler devenu un poète de l’image a été accueillie par des sifflets. Aujourd’hui, « Welche Bilder... » apparaît comme l’évocation prophétique d’une époque disparue, où les enfants étaient encore capables de se hisser ensemble à des hauteurs créatives au lieu de se faire hypnotiser l’un à côté de l’autre par de petits écrans.

A l’époque de « Welche Bilder... », les travaux de commande augmentent pour le chef opérateur Hassler mais aussi, par la suite, pour le monteur. Là aussi, il tranche régulièrement pour des films d’auteur qui prennent des risques esthétiques. Pour Christian Schocher, chef opérateur de « Lüzzas Walkman » (1989), il exploite jusqu’à l’extrême limite l’émulsion du film et garde toujours un œil ouvert sur l’environnement, du moment qu’on ne peut jamais prévoir, lorsque la fiction côtoie à ce point le documentaire, ce qui va encore venir à l’esprit du réalisateur. Quand Lisa Fässler compare un village bernois et un village de Bohème dans « Tanz der blauen Vögel » (1993), ce n’est qu’à la table de montage que Hassler met au point la structure du film en commençant par jouer en totale liberté et par associations avec le matériel.

Le point culminant des partenariats avec des cinéastes désireux de se lancer dans des expériences c’est la collaboration avec Thomas Imbach, pour lequel Hassler a travaillé comme chef opérateur mais aussi parfois au montage et au scénario. Parmi ces travaux, ceux qui ont fait le plus de bruit sont les documentaires « Well Done » (1995) et « Ghetto » (1997) : avec leurs petites caméras vidéo de conception nouvelle, les cinéastes sont littéralement pendus aux basques des personnages, ils réagissent aux impondérables par des panoramiques filés. Deuxième étape aussi importante de la dynamisation du regard, le travail à la table de montage, où le duo démonte sans ménagement ses gros plans et les réarrange pour en faire des séquences montées staccato, qui se focalisent beaucoup moins sur les individus que sur certains thèmes. « Well Done » est loué par la critique pour son esthétique inédite, mais « Ghetto » est le film d’Imbach que préfère Jürg Hassler. « Sans lui, dit-il, il n’y aurait pas eu de ‘Rencontre’ à Soleure. »

Ailleurs et toujours soi-même

Enfin, les cinq films que Jürg Hassler a tournés en tant que chef opérateur pour le réalisateur Saint Pierre Yameogo au Burkina Faso, en Afrique occidentale, entre 1991 et 2012, représentent un monde parallèle au travail réalisé en Suisse. La collaboration est due au producteur romand Pierre-Alain Meier, qui s’était déjà adjoint les services de techniciens suisses au Burkina Faso pour un autre film de fiction (« Yaaba », 1987).

Les collègues africains de Hassler sur le premier de ces films, « Laafi – Tout va bien » (1991), ont tous été formés en Union soviétique, où l’on travaille à grands frais et de façon compliquée. Documentariste chevronné, Hassler injecte du rythme et du pragmatisme dans le tournage. Pour suivre un vélomoteur sur les routes non asphaltées de Ouagadougou, il enlève du trépied la caméra 35mm, la seule du pays, et la tient à la main dans une voiture en marche. Le premier jour de tournage, son co-cameraman africain a besoin de deux heures pour tourner les seize plans prévus ; Hassler met en boîte les quinze autres dans les délais et devient du coup l’homme de confiance de Yameogo.

Yameogo n’attend pas de Hassler un langage visuel révolutionnaire, mais la mise en œuvre solide du storyboard. « C’est ainsi pour le cinéma de fiction, dit Hassler en souriant, tu coches simplement les uns après les autres les plans qui y sont dessinés. Par contre, tu peux te service à la louche. »

« Je ne me vois pas du tout, ajoute Hassler pour résumer, comme un artiste, seulement comme un homme d’art. » En ce sens, il était aussi revenu ces quinze dernières années à ses débuts de plasticien et faisait des expérimentations avec des matériaux et des formes, en pourvoyant par exemple des échiquiers stylisés de courbes ou en les agrandissant à la troisième dimension. Il en va à nouveau d’une manière d’irriter et de sensibiliser la perception par un langage visuel déroutant tout à fait personnel. Les critiques appellent cela de l’art. Hassler, modeste, parle d’amusement.

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